Le Père Malartre - YDES
(1887-1969) 

Document et texte de Claude Paret

 Il était très connu, oh! pas comme un acteur de cinéma quoique avec sa démarche et son habillement, il aurait pu jouer un personnage dans un film sur la vie des gens de la terre, mais il était tueur de porcs dans les fermes, et contribuait en même temps à ce que les paysans fassent une fête ce jour là, entre amis et voisins qui venaient donner un coup de main à préparer boudins, charcuterie, salaisons  puisque tout se faisait à la main et dans la journée si possible, car il n'y avait pas de congélateurs mais simplement des saloirs et (lou cantou) la cheminée qui servait à fumer les jambons, saucisses et autres. On venait de très loin le chercher en voiture pour ceux qui en avaient une non réquisitionnée, et surtout du carburant quand il ne pouvait faire le trajet à pied, il faut dire que ce grand bonhomme solide et bien planté n'avait que ses jambes pour se déplacer.

Comme les porcs se tuaient l'hiver, question de conservation, et que dans notre Cantal du côté de Ydes, Saignes, Trizac et autres villages, il ne faisait pas chaud, alors en marchant dans les sentiers couverts de neige ou gelés, pas très sûrs à cette époque de guerre, il disait que ça le réchauffait mais souvent il avait son passe-montagne plein de glace autour de sa bouche. Quand les fermes n'étaient pas trop éloignées l'une de l'autre,  il en faisait deux par jour "en traduisant, 2 porcs".

Nous avons été mon jumeau et moi élevés pendant une partie de la guerre par lui et notre grand mère, et les souvenirs de  grand bonheur reviennent, dans mes yeux je revois partir ce gaillard habillé de son pantalon de velours et de sa veste (de chasse) aux boutons ornés de cerfs et de chiens en relief sans oublier la casquette, et sur le dos, la musette avec à l'intérieur les couteaux et la feuille (couperet) que la veille la grand-mère avait bien lavés, sur le bras gauche replié pendait la scie de boucher, et dans sa main droite il tenait fermement un grand bâton qui lui servait de canne et d'appui  pour braver cette campagne hostile, mais à mon goût tellement jolie.

Le printemps et l'été étaient tout autre chose, il allait à la pêche à la truite et c'était un fin pêcheur à la ligne, les gens le voyaient souvent à son retour sur la route de Ydes avec un fagot de rames (tiges de noisetier) sur l'épaule qui serviront de tuteurs pour ses haricots soissons, ou une grosse branche de bois sec pour la réserve d'hiver pour la cheminée ou pour mettre dans la cuisinière pour faire les repas (il n'y avait pas de réchaud à gaz); si la pêche avait été bonne, la grand mère allait vendre le poisson, à cette époque les temps étaient durs comme il disait, mais pour nous il y en avait toujours de réservé.

Ah! il ne faut pas oublier les soies et les peaux qui pendant la guerre servaient à la fabrication de brosses, blaireaux, manteaux et fourrures. C'était un Monsieur de Mauriac qui venait les acheter, on l'appelait le "sauvagin", il aimait les soies du Père Malartre parce qu'il les arrachait à la main avec un crochet quand le porc était mort et elles étaient de très bonne qualité. Il y avait de grands sacs pleins et aussi des peaux de renard, belette et autres. Ce monsieur payait bien et quand il était parti avec son chargement, la grand-mère rangeait dans un portefeuille de maquignon de grands billets vert et bleu, autant que je me souvienne, dans l'armoire sous une pile de draps et le grand père était content, c'était le salaire d'un hiver, et aussi je pense un pied de nez à cette guerre.

Voilà, en hommage à cet homme que les gens du canton appelaient "Le Père Malartre", c'était notre grand-père avec sa grande moustache qui datait au moins du Chemin des Dames et qui nous chatouillait quand il nous embrassait.

 Claude Paret

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